Être punk aujourd’hui
Le mouvement du punk anglais a traversé l’univers musical tel une comète. Cette étoile filante cabossée a ébloui toute une génération l’espace d’un instant, laissant derrière elle une trace à jamais indélébile.
Le punk jaillit au cœur d’une crise économique sans précédent. Des jeunes laissés pour compte crient et crachent leur fureur de vivre dans un micro. Ils brûlent le monde trop gris, et imaginent un futur rose flashy. Ils scandent et inscrivent sur les murs et sur leurs habits : No future.
NO FUTURE NE SIGNIFIE PAS “PAS DE FUTUR” MAIS PLUTÔT “PAS DE CE FUTUR-LÀ“.
Aujourd’hui aussi nous sommes en crise. Les jeunes sont en équilibre au bord d’un gouffre. Ils ont besoin de modèles forts pour se raccrocher au sol. Nous avons tous besoin de croire à nouveau aux héros. Mais inutile qu’ils aient des supers pouvoirs ! S’ils sont décoiffés, décalés, débrayés, ils n’en seront que plus aimés.
POURQUOI ?
Car dans ce monde de concurrence et d’excellence, où la perfection de chacun s’exhibe aux yeux de tous par la petite fenêtre d’un téléphone, oser rater et afficher ce risque est un exploit. Le vrai héros d’aujourd’hui est celui qui entreprend sans être sûr de réussir. C’est celui qui agit sans glorifier son acte. Le nouveau héros se réalise uniquement parce qu’il en a besoin, envie, sans contrepartie, gratuitement.
Les Slits sont ce genre d’héroïnes. Elles se rêvent sans compromis ni concession. Elles n’ont que faire de gagner. Elles veulent être elles-mêmes et le dire au monde. Ce sont des figures inspirantes pour les jeunes générations, revigorantes pour les moins jeunes. Dans la plus pure tradition des comédies anglaises, à l’instar de The Full Monty, elles transforment leur humiliation en victoire. Elles se mettent à nu, drapées de leur sincérité. Équilibristes unijambistes, elles se lancent sans filet. Et c’est la grâce qui naît de cette fragilité qui est si précieuse, totalement unique et singulière.
Punk.e.s ou Comment nous ne sommes pas devenues célèbres est une épopée joyeuse, musicale, intergénérationnelle. En découvrant les aventures des Slits, les parents, les grands-parents renoueront avec leurs espérances d’enfants et les jeunes gens s’identifieront à la vitalité des personnages, leur culot, leur volonté de changer les mentalités.
Punk.e.s pour tous.tes
Une étude récente, menée dans le secteur de la musique actuelle souligne que la pratique instrumentale pourrait apparaître comme genrée. C’est-à-dire que chaque instrument serait associé au genre masculin ou féminin.
Cette association découlerait des stéréotypes qui sont quotidiennement véhiculés dans notre société, notamment à travers les médias, les produits culturels ou la publicité…
Je n’arrivais pas à croire à cette étude. Il me semblait qu’en 2022, le monde avait suffisamment évolué pour que nous soyons à l’abri de ce genre de clichés.
La réalité a surgi avec une violence inattendue, là où je m’y attendais le moins : lors des auditions pour la distribution de Comment nous ne sommes pas devenues célèbres.
Je cherchais une jeune interprète capable de jouer de la basse pour tenir le rôle de la bassiste des Slits. Sur cinquante candidates, il n’y avait qu’une véritable bassiste, Kim, que j’ai engagée dans le spectacle.
Lors de cette audition j’ai rencontré Laure-Marie, qui jouait remarquablement de la guitare électrique. En discutant avec elle, je découvre qu’elle a également un très bon niveau de saxophone. Je m’extasie : quel atout merveilleux. Grâce à ses compétences exceptionnelles, elle devait enchainer les engagements. Elle me répond avec un petit sourire mi triste mi amusé :
« Vous en connaissez beaucoup, vous, des héroïnes saxophonistes ? »
En 2022 il est grand temps de représenter sur scène des héroïnes saxophonistes, batteuses, bassistes. Les Slits se saisissent d’instruments de musique « virils » « réservés aux hommes » avec une audace rafraîchissante. J’aime à croire que cet exemple sera un déclencheur pour toutes les musiciennes en herbe qui verront ce spectacle.
Justine Heynemann (auteure et metteuse en scène)
De la musique live !
Qui n’a jamais chantonné une chanson des Clash ou des Sex Pistols ?
Ces mélodies aux accords simples qui se chantent sans savoir chanter, qui se retiennent si bien qu’elles illustrent encore aujourd’hui clips sportifs, publicités, défilés de mode…Cette musique populaire dans le sens le plus pur du terme (c’est-à-dire qui appartient au peuple) nous la connaissons tous sans la connaître.
L’histoire du groupe des Slits est une façon de découvrir ou de redécouvrir un répertoire musical à la fois familier et mystérieux. Ici des tubes planétaires s’alternent avec des morceaux oubliés et pourtant passionnants musicalement car fondateurs de notre musique actuelle. Les chansons tissent la narration et constituent la toile de fond de cette joyeuse épopée. Les artistes de la distribution sont comédiens, chanteurs et musiciens.
La musique se joue en live. Elle est tantôt très concrète, figurant des extraits de concerts ou de répétitions. Le son prend alors une vraie teinte punk : brut, mat, une musique large, ample, un son « qui
tabasse » !
C’est le groupe qui joue dans son ensemble : guitare, basse, batterie. Il y a alors quelque chose de combatif, de politique qui circule sur le plateau.
À la rage et au réalisme succède une couleur musicale beaucoup plus onirique. Elle nous donne accès à l’intimité des personnages : leurs peurs, leurs désirs. On y entend des arrangements singuliers au violoncelle ou au piano, une réverbération sonore qui rompt avec le son brut des autres morceaux.
Ces arrangements offrent une nouvelle lecture de ce répertoire punk rock. Ils en soulignent la sincérité, la sensualité. Les paroles des chansons prennent alors un tout autre sens : métaphysiques, sensibles.
Ces moments oniriques sont dépouillés de réalisme. La lumière, la mise en scène les enveloppent d’une poésie qui les détache du quotidien : une guitare pailletée descend des cintres, une chanteuse se perd dans des bulles de savon, un violoncelle surgit d’un malle remplie de fleurs.
Autant d’images décalées et fantaisistes qui guident notre sensibilité vers un ailleurs inclassable, nous offrant ainsi des respirations nécessaires, cassant le rythme effréné du spectacle.