Clara Ysé, une voix qui transperce l’âme

Le vendredi 11 octobre, en coproduction avec l'Usine A Chapeaux, La Lanterne a l'immense plaisir de recevoir une voix. Et cette voix, celle de Clara Ysé, va vous mettre des étoiles dans le cœur.

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Clara Ysé, c’est d’emblée une voix. Une voix qui soulève le sable, traverse le feu, transperce la nuit, franchit en souveraine des continents de sentiments et transporte avec elle la douleur autant que ses remèdes. Elle est ce « joyau intact sous le désastre » de Mallarmé, pierre brute inamovible malgré le chaos, miraculeux talisman resplendissant sur des musiques elles aussi serties de beauté et de bravoure.

Depuis l’enfance, elle joue et chante, un violon entre les mains alors qu’elle savait à peine marcher, puis éduquée au chant à huit ans, avant de grandir en soprano et de tracer une route parallèle vers la chanson à ses études au Conservatoire et à son master de philosophie. Parvenue à l’entrée de la trentaine, Clara Ysé possède ainsi derrière elle une longue traîne d’expériences et de sensations mêlées, de plaisirs sédentaires à mettre des poèmes en musique, mais aussi de voyages et de mariages artistiques qui imprègnent désormais son art incandescent et troublant. Frappée par un drame il y a quelques années, c’est en Amazone qu’elle réapparait, au galop contre l’emprise du deuil, qu’elle sait chanter sans démonstration (Lettre à M) et dont elle s’effeuille du poids avec la légèreté d’une luciole (La maison).

A ceux qui seraient frappés par sa douceur, elle répond, dans la chanson qui porte ce nom « Si tu savais la haine qui coule dans mes veines, tu aurais peur, si tu savais la chienne que je cache à l’intérieur… ». Passionnelle comme les aïeuls espagnols qui la précèdent, littéraire par atavisme (elle doit l’Ysé de son double prénom au Partage de Midi de Claudel), elle a publié un premier roman ardent, Mise à feu (Grasset, 2021), puis Vivante (Seghers, 2024) un ouvrage de poésie.

Longtemps, Clara Ysé a laissé la musique en liberté, sans la capturer dans un studio, chantant partout où elle le pouvait et organisant des fêtes qui terminaient invariablement en impros musicales, à l’aube. Les chœurs de Pyromanes ou de Souveraines viennent de là, voix de femmes et d’hommes qui l’accompagnent depuis toujours, et certains des musiciens – joueur de duduk, cuivres ivres ou violoncelle tisseur de songes – ont également vécu ces partages de minuit. Observer un père peintre, suivre la métamorphose de ses toiles qui partaient toujours du point le plus sombre pour mieux laisser jaillir la clarté, l’a inspirée une fois qu’elle s’est mise à composer ses chansons, cherchant à déployer musicalement cette même ascension chromatique. Elle a aussi beaucoup voyagé, emprunté au réalisme magique de la littérature mexicaine ou colombienne ses ensorcellements (Magicienne, Le désert) et ses envolées oniriques, qu’elle a su parfaitement retranscrire en musique (Cœur indompté).

Ce premier album est d’abord celui d’une désirante, d’une « obsessionnelle de la réparation », dit-elle, qui a choisi comme plongée heureuse la lumière féroce des profondeurs, la vitalité des grandes traversées de nuit, l’étourdissement des émotions intenses, la vie aux lisières de la transe. Elle aime les novateurs, de Rosalia à Björk en passant par Kendrick Lamar, les chanteuses qui allient fragilité et force comme Lole Montoya, Janis Joplin, Mercedes Sosa, Nina Hagen, autant que la musique baroque et la liturgie extatique des chants grégoriens. Elle confronte sa voix à une modernité novatrice, guidée par son obsession de la recherche et son goût de la transgression, jouant autant avec ses producteurs à introduire des synthés aux textures irisantes, des rythmiques électroniques empruntant au reggaeton, qu’à s’approprier certains codes du Rébétiko grec qu’elle aime tant.

Avec le feu, l’eau est son autre élément, celui de la tourmente comme de l’apaisement, et en empruntant à L’Enéide de Virgile le titre de son album (« et ruit Oceano Nox », « et la nuit s’élance de l’océan »), déjà repris par Victor Hugo dans un poème dédié aux marins disparus, elle sait qu’hisser les voiles, comme elle chante dans l’accrocheur L’étoile, est aussi un geste d’amour fou, à en perdre l’équilibre et la raison. Vulnérable mais puissante, solide comme le granit et pourtant insaisissable, elle pénètre dans la chanson française avec l’éclat et la classe des grandes conquérantes. La suivre sera incontournable.